NewsletterNewsletter n°170 – Février 2023
CONTENTIEUX DE L’AMIANTE: L’atteinte à la dignité, nouveau motif d’indemnisation des salariés exposés aux substances toxiques.
Pour mémoire, l’utilisation de l’amiante est interdite en France depuis le 1er janvier 1997. En l’espèce, une entreprise, qui a bénéficié d’une dérogation à cette interdiction jusqu’au 31 décembre 2001, a continué à utiliser de l’amiante jusqu’en 2005. Des salariés ont alors saisi la juridiction prud’homale en sollicitant la réparation de deux préjudices distincts : le préjudice d’anxiété résultant de leur exposition à l’amiante, mais également un préjudice causé par le manquement de l’employeur à son obligation de loyauté dans l’exécution du contrat de travail. Dans un arrêt du 8 février 2023, la chambre sociale de la Cour de cassation rappelle qu’« il résulte de l’article L.1222-1 du code du travail que l’atteinte à la dignité de son salarié constitue pour l’employeur un manquement grave à son obligation d’exécuter de bonne foi le contrat de travail » et considère, comme la cour d’appel, que l’utilisation illégale de l’amiante, par un employeur, est constitutive d’un tel manquement. Elle confirme aussi et surtout le fait que le salarié, dont le droit à réparation au titre du préjudice d’anxiété est éteint, peut néanmoins obtenir des dommages et intérêts au titre d’une atteinte à sa dignité, lorsque son employeur a illégalement utilisé de l’amiante (Cass. Soc., 8 février 2023, n°21-14.451).
LANCEURS D’ALERTE: Licenciement d’un lanceur d’alerte : précisions sur l’office du juge des référés.
Les salariés dits lanceurs d’alerte bénéficient d’un statut protecteur destiné à lutter contre toute mesure de représailles qui serait prise à leur encontre conséquemment aux signalements ou aux divulgations effectués. Ce statut a récemment été renforcé par la loi n°2022-401 du 21 mars 2022. En l’espèce, une salariée a saisi le comité d’éthique de son entreprise pour signaler des faits susceptibles d’être qualifiés de corruption, puis des faits de harcèlement dont elle s’estimait victime en raison de l’alerte donnée. Le comité a conclu à l’absence de situation contraire aux règles éthiques, et la salariée s’est vu notifier son licenciement. Elle a saisi la formation des référés de la juridiction prud’homale en nullité de son licenciement intervenu en violation des dispositions protectrices des lanceurs d’alerte.. Sa demande a été rejetée par les premiers juges, qui ont dit n’avoir pas lieu à référé. Dans un arrêt du 1er février 2023, la Cour de cassation retient que le juge des référés était compétent et qu’il lui incombait, d’une part, de vérifier si les éléments soumis par la salariée permettaient de présumer que cette dernière avait procédé à une alerte dans le respect des dispositions légales encadrant les lanceurs d’alerte et, d’autre part, le cas échéant, de rechercher si l’employeur rapportait la preuve que la décision de licenciement était justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage de ladite salariée. Cette décision, qui retient une conception large des pouvoirs d’investigation du juge des référés, tend à assurer une protection effective des lanceurs d’alerte (Cass. Soc., 1er février 2023, n°21-24.271).
COMITE SOCIAL ET ECONOMIQUE (CSE): Les partenaires sociaux déterminent librement les établissements distincts.
En l’espèce, la société Air France avait signé avec quatre organisations syndicales un accord d’entreprise relatif à la mise en place de comités sociaux et économiques d’établissement, du comité social et économique central d’entreprise et du périmètre des établissements distincts. L’accord prévoyait la division de l’entreprise en sept établissements distincts. Une organisation syndicale a assigné les parties signataires aux fins de demander l’annulation de l’accord d’entreprise, ainsi que la mise en place d’un établissement distinct et du CSE afférent propres aux pilotes de ligne. La cour d’appel a rejeté cette demande, position confirmée par la Cour de cassation dans un arrêt du 1er février 2023, aux termes duquel « les signataires d’un accord conclu selon les conditions mentionnées aux articles L.2313-2 et L.2313-3 du code du travail déterminent librement les critères permettant la fixation du nombre et du périmètre des établissements distincts au sein de l’entreprise, à la condition toutefois, eu égard au principe de participation consacré par l’alinéa 8 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, qu’ils soient de nature à permettre la représentation de l’ensemble des salariés ». Cette solution concourt à l’édification d’une jurisprudence claire et cohérente sur les établissements distincts reposant notamment sur la primauté de l’accord collectif sur la décision de l’employeur, ainsi que l’élaboration des critères de l’autonomie de l’établissement (Cass. Soc., 1er février 2023, n°21-15.371).
PREJUDICE D’ANXIETE: Le salarié d’une entreprise extérieure peut demander réparation à l’entreprise utilisatrice.
Pour rappel, le préjudice d’anxiété est causé par le sentiment d’inquiétude permanente que peuvent éprouver les personnes qui ont été exposées à une substance toxique. Il est généré par le risque de déclarer à tout moment une maladie liée à l’exposition à une telle substance (communiqué de la Cour de cassation sur l’arrêt du 8 février 2023). En l’espèce, des salariés ont travaillé pendant plusieurs dizaines d’années pour le compte de divers employeurs sur divers sites d’une entreprise ferroviaire en exécution d’un marché de sous-traitance. Lorsque ces derniers ont été licenciés pour motif économique, le médecin du travail leur a remis une attestation d’exposition à l’amiante. Les salariés ont saisi la juridiction prud’homale, afin d’obtenir réparation, par leur employeur mais aussi par l’entreprise utilisatrice, de leur préjudice d’anxiété. La cour d’appel a fait droit à la demande d’indemnisation par l’entreprise utilisatrice, suivie par la chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu en formation plénière le 8 février 2023. Elle rappelle que le droit européen impose aux entreprises utilisatrices d’assurer la coordination générale de leurs propres mesures de prévention avec celles qu’a mis en place l’entreprise extérieure qui intervient dans leurs établissements, et d’établir elles-mêmes un plan de prévention lorsqu’une opération présente des risques particuliers. En l’espèce, l’entreprise utilisatrice n’avait pas respecté son obligation générale de coordination des mesures de prévention, négligence à l’origine du préjudice d’anxiété subi par les salariés de l’entreprise sous-traitante (Cass. Soc., 8 février 2023, n°20-23.312).
INAPTITUDE PROFESSIONNELLE: Un salarié déclaré inapte ne peut être licencié pour un motif autre que l’inaptitude.
En l’espèce, une procédure disciplinaire avait été engagée à l’encontre d’un salarié, qui a été déclaré inapte à son poste pendant le déroulement de la procédure, l’avis du médecin du travail précisant que « l’état de santé du salarié [faisait] obstacle à tout reclassement dans l’emploi ». Le salarié, licencié pour faute lourde, a saisi la juridiction prud’homale en contestation de son licenciement. La cour d’appel a rejeté sa demande et a considéré que l’avis du médecin du travail ne privait pas l’employeur de la possibilité de poursuivre la procédure et notifier son licenciement au salarié. Dans un arrêt du 8 février 2023, la Cour de cassation donne raison à ce dernier et annule l’arrêt de la cour d’appel, en considérant que les dispositions « d’ordre public » des articles L.1226-2 et L.1226-2-1 du code du travail « font obstacle à ce que l’employeur prononce un licenciement pour un motif autre que l’inaptitude, peu important que l’employeur ait engagé antérieurement une procédure de licenciement pour une autre cause ». La position sévère qui est ici adoptée ne manque pas de surprendre, puisqu’aucun texte législatif ne consacre le caractère d’ordre public de ces dispositions (Cass. Soc., 8 février 2023, n°21-16.258).