NewsletterNewsletter n°171 – Mars 2023
PREUVE ILLICITE: Précisions sur le régime de la recevabilité de la preuve.
La production par l’employeur d’images issues d’un dispositif de vidéosurveillance dans le cadre d’un contentieux en justice doit être loyale. Autrement dit, le salarié doit avoir été informé préalablement et personnellement de la mise en place d’un tel dispositif. Toutefois, la Cour de cassation considère depuis 2020 que l’illicéité d’un moyen de preuve n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats, à condition que l’atteinte à la vie privée du salarié soit indispensable à l’exercice du droit à la preuve et proportionnée au but recherché. En l’espèce, un employeur qui soupçonnait une salariée de vols avait mis en place un système de vidéosurveillance sans en aviser cette dernière. Licenciée pour faute grave, la salariée a saisi la juridiction prud’homale en contestation de cette mesure. Les juges du fond ont considéré que la production par l’employeur des enregistrements vidéo constituait une preuve illicite, non indispensable à l’exercice du droit à la preuve ni proportionnée au but recherché. En effet, l’employeur disposait également d’un audit comme autre moyen de preuve non produit aux débats. La Cour de cassation confirme cette décision dans un arrêt du 8 mars 2023 en précisant que l’employeur ne pouvait produire en justice un moyen de preuve illicite « dès lors que celui-ci disposait d’un autre moyen de preuve qu’il n’avait pas versé aux débats », ce moyen étant « plus respectueux de la vie personnelle » de la salariée (Cass. soc., 8 mars 2023, n°21-17.802).
TEMPS DE TRAVAIL: Temps de déplacement professionnel et temps de travail effectif.
Le temps de travail effectif correspond au « temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles » (L.3121-1 C. trav.). Le « temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d’exécution du contrat de travail » n’est pas considéré comme un temps de travail effectif (L.3121-4 C. trav.). En l’espèce, un salarié itinérant avait sollicité le paiement d’heures supplémentaires, considérant que le temps de trajet entre son domicile et le site des premiers et derniers clients constituait un temps de travail effectif. La cour d’appel l’a débouté de ses demandes et retenu que l’ensemble des temps de trajet décomptés devait être considéré comme du temps de déplacement professionnel, et que le salarié ne se trouvait pas à la disposition permanente de l’employeur préalablement à son départ en ce qu’il bénéficiait d’une certaine autonomie dans l’organisation de son travail. Dans un arrêt du 1er mars 2023, la Cour de cassation a cassé la décision de la cour d’appel. En soulignant que cette dernière avait « constaté que le salarié était soumis à un planning prévisionnel pour les opérations de maintenance et que, pour effectuer ces opérations, il utilisait un véhicule de service et était amené à transporter des pièces détachées commandées par les clients », répondant ainsi à la définition du temps de travail effectif prévue par l’article L.3121-1 du code du travail. Dans ce cas, les temps litigieux ne devaient pas relever du champ d’application de l’article L.3121-4 du même code (Cass. soc., 1er mars 2023, n°21-12.068).
PREUVE D’UNE INEGALITE SALARIALE: Une salariée peut obtenir de l’employeur la communication des bulletins de paie de collègues masculins.
Pour rappel, l’article 145 du code de procédure civile permet à tout intéressé de solliciter des mesures d’instruction « s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige ». En l’espèce, une salariée considérait avoir subi une inégalité salariale par rapport à des collègues masculins occupant ou ayant occupé des postes comparables au sien. Elle avait donc saisi la formation de référé du conseil de prud’hommes pour obtenir, sur le fondement de l’article précité, la communication d’éléments de comparaison détenus par ses deux employeurs successifs. La cour d’appel avait considéré que la salariée était fondée à « obtenir la communication des bulletins de salaire de huit autres salariés occupant des postes de niveau comparable au sien dans des fonctions d’encadrement, commerciales ou de marché, avec occultation des données personnelles à l’exception des noms et prénoms, de la classification conventionnelle, de la rémunération mensuelle détaillée et de la rémunération brute totale cumulée par année civile ». La Cour de cassation confirme cet arrêt, relevant que l’atteinte portée à la vie personnelle des autres salariés était indispensable à l’exercice du droit à la preuve et proportionnée au but poursuivi, « soit la défense de l’intérêt légitime de la salariée à l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail » (Cass. soc., 8 mars 2023, n°21-12.492).
REQUALIFICATION DE CDD: Précisions sur les conséquences indemnitaires d’une requalification d’un CDD en CDI.
Un salarié peut obtenir, devant la juridiction prud’homale, la requalification de son contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, ce qui lui permet de bénéficier de certains droits. Par l’effet rétroactif de cette requalification, le salarié doit être replacé dans la situation d’un salarié permanent de l’entreprise. Le calcul des différentes indemnités doit donc pleinement prendre en compte les effets de la requalification contractuelle. En l’espèce, trois salariés avaient saisi le conseil de prud’hommes afin d’obtenir la requalification de leur CDD en CDI. La Cour de cassation précise, dans trois arrêts du 8 février 2023, les règles relatives au calcul des indemnités pouvant être perçues par le salarié en cas de requalification. Elle affirme, dans un premier temps, que le montant de l’indemnité de requalification prévue à l’article L.1245-2 du code du travail doit être calculé selon la moyenne du salaire mensuel dû au titre du contrat dans le dernier état de la relation de travail avant la saisine de la juridiction prud’homale. Cette moyenne doit être déterminée au regard de l’ensemble des éléments de salaire, y compris lorsqu’ils ont une périodicité supérieure au mois. S’agissant des rappels de salaires et accessoires, la Cour considère que les sommes ayant pu être versées au salarié, destinées à compenser la situation dans laquelle il était placé du fait de son contrat à durée déterminée, lui restent acquises, nonobstant une requalification ultérieure en contrat à durée indéterminée. De ce fait, le salarié peut prétendre au paiement des primes spécifiques dues au salarié en CDI. La Cour de cassation approuve par ailleurs les juges d’appel en ce qu’ils ont, pour calculer le montant de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, pris en compte les sommes perçues par le salarié au titre du salaire de base brut qui lui étaient définitivement acquises, et ce en exacte application de l’article L.1235-3 du code du travail. Par ailleurs, il doit être fait de même pour calculer le montant de l’indemnité conventionnelle de licenciement. Enfin, l’indemnité compensatrice de préavis doit être calculée au regard des sommes que le salarié aurait perçues en application du statut de travailleur permanent qui lui avait été reconnu, ce qui implique de faire reposer son calcul sur le salaire théorique reconstitué correspondant au CDI (Cass. Soc., 8 fév. 2023, n°21-16.824, n°21-10.270, n°21-17.971).