NewsletterNewsletter n°180 – Décembre 2023
LOYAUTE DE LA PREUVE: La Cour de cassation admet dorénavant que, dans un litige civil, une partie puisse utiliser, sous certaines conditions strictes, une preuve obtenue de manière déloyale pour faire valoir ses droits.
On sait depuis 2011 (Ass. plén. 7 janvier 2011, n°09-14.316 et 09-14.667) que les preuves obtenues de façon déloyale ne peuvent être admises. La Cour de cassation vient cependant d’effectuer un important revirement de jurisprudence. Désormais, « l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats ». Il revient dès lors au juge de mettre « en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence », l’atteinte aux autres droits ne pouvant être admise qu’à la « condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi ». Dans un deuxième arrêt, l’Assemblée plénière considère que la question ne se posait pas, dès lors qu’une « conversation privée qui n’était pas destinée à être rendue publique » ne pouvait « constituer un manquement du salarié aux obligations découlant du contrat de travail ». Lorsque le salarié ne manque pas à ses obligations contractuelles, une preuve déloyale ne peut donc être utilisée pour justifier son licenciement (Ass. plén. 22 décembre 2023, n°20-20.648 et Ass. plén. 22 décembre 2023, n° 21-11.330).
TRAVAILLEURS ETRANGERS: Le salarié étranger qui n’a pas demandé le renouvellement de son titre de séjour peut être licencié après son expiration.
L’article L.8251-1 du Code du travail interdit l’embauche de salariés étrangers non munis d’un titre permettant de travailler. Néanmoins se pose la question de savoir quand licencier un salarié dont le titre de séjour est arrivé à expiration. En l’espèce, un employeur avait licencié un salarié étranger dont le titre de séjour était arrivé à expiration, sans réponse de sa part concernant l’obtention d’un nouveau titre. Pour la cour d’appel, le maintien du droit de travailler trois mois prévu par l’article L.311-4 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) devait s’appliquer et le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse. L’argument est rejeté par la Cour de cassation qui, en associant les articles R. 311-2, 4° ancien (R. 431-4 s. nouveau) et L.311-4 du CESEDA juge qu’« un étranger, titulaire d’une carte de résident, doit, pour bénéficier du délai de trois mois lui permettant, après expiration de son titre, de conserver son droit d’exercer une activité professionnelle, en solliciter le renouvellement dans les deux mois précédant cette expiration ». Le salarié, qui ne justifie pas avoir présenté une demande de renouvellement dans les deux mois précédant l’expiration de son titre, peut donc être licencié dès l’expiration de son titre de séjour (Cass. Soc. 29 novembre 2023, n°22-10.004).
ACCIDENTS DU TRAVAIL: La présomption d’accident de travail ne peut être contestée que par une cause totalement étrangère au travail.
En l’espèce, une salariée avait fait un malaise vagal lors d’un entretien avec le responsable des ressources humaines. Survenu au temps et au lieu de travail, le malaise est présumé être d’origine professionnelle en application d’une jurisprudence constante (Cass. soc., 29 mars 1989, n° 86-19.583) et de l’article L.411-1 du Code de la sécurité sociale. Pour contester l’origine professionnelle, la cour d’appel avait retenu que la victime ne prouvait pas l’existence d’un « évènement brusque et soudain » ayant pu causer l’accident. La Cour de cassation juge que seule « la lésion [ayant] une cause totalement étrangère au travail » permet de contester l’origine professionnelle. Puisque « le malaise de la victime était survenu aux temps et lieu de travail », il était présumé « revêtir […] un caractère professionnel », peu important le caractère anormal ou non d’une réunion (Cass. Soc. 19 octobre 2023, n°22-13.275).
INAPTITUDE: L’obstacle à tout reclassement sur site ne dispense pas l’employeur de son obligation de reclassement.
Un salarié avait été déclaré inapte à son poste par un avis du médecin du travail mentionnant que son « état de santé (faisait) obstacle à tout reclassement dans un emploi » et été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement. Le salarié avait contesté son licenciement, au motif que le médecin précisait l’obstacle à un reclassement sur le site et que l’employeur possédait d’autres établissements. La Cour de cassation lui donne raison et confirme la décision de la Cour d’appel en ce qu’elle « en a exactement déduit que l’employeur n’était pas dispensé, par un avis d’inaptitude du médecin du travail limité à un seul site, de rechercher un reclassement hors de l’établissement auquel le salarié était affecté et avait ainsi manqué à son obligation de reclassement ». Lorsqu’un médecin rend un avis d’inaptitude restreint à un seul site, l’employeur n’est donc pas dispensé de rechercher un reclassement hors de cet établissement (Cass. Soc. 13 décembre 2023, n°22-19.603).
SALARIEE ENCEINTE: L’envoi de la convocation à l’entretien préalable pendant la période de protection rend nul le licenciement.
Il ressort de l’article L.1225-4 du Code du travail que, pendant la période de protection, sont interdits non seulement la notification du licenciement, mais également toutes les mesures préparatoires à ce dernier. Pour la Cour de cassation, l’envoi de la convocation à l’entretien préalable constitue « une mesure préparatoire au licenciement, peu important que l’entretien ait lieu à l’issue de cette période », ce qui rend nul tout licenciement intervenu postérieurement (Cass. Soc. 29 novembre 2023, n°22-15.794).
REMUNERATION: L’employeur qui verse pendant sept ans une prime non contractualisée ne peut arrêter son versement sous prétexte d’une erreur.
Un salarié avait bénéficié de primes d’équipe et de casse-croûte, à laquelle il ne pouvait prétendre, faute de travailler en équipe. Pour justifier la cessation de son versement, l’employeur évoquait une erreur du logiciel de paie. Pour la Cour de cassation, la cour d’appel a fait ressortir la contractualisation des primes que « l’employeur avait pendant plus de sept années versé de façon continue au salarié […] » et a « pu écarter l’existence d’une erreur dans le paiement de ces primes », ordonnant ainsi à l’employeur la reprise des versements (Cass. Soc. 13 décembre 2023, n° 21-25.501).
ENQUETE INTERNE: Le rapport d’enquête interne n’est pas un moyen de preuve illicite et peut être utilisé pour justifier un licenciement pour faute.
Lorsque des faits de harcèlement moral ont conduit l’entreprise à mener une enquête interne, l’employeur, tenu à son obligation de sécurité, peut utiliser un « rapport de l’enquête interne […] pour justifier la faute imputée au salarié licencié ». C’est ensuite au juge du fond qu’il revient « d’en apprécier la valeur probante, au regard le cas échéant des autres éléments de preuve produits par les parties ».. La Cour de cassation précise également que « l’enquête effectuée au sein d’une entreprise à la suite de la dénonciation de faits de harcèlement moral n’est pas soumise aux dispositions de l’article L.1222-4 du code du travail et ne constitue pas une preuve illicite comme issue d’un procédé clandestin de surveillance de l’activité du salarié » (Cass. Soc. 6 décembre 2023, n°22-14.062).