NewsletterNewsletter n°193 – Janvier 2025
LICENCIEMENT ECONOMIQUE: L’absence de critères de départage invalide une offre de reclassement et entraîne les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Une entreprise avait adopté un plan de sauvegarde de l’emploi qui faisait l’objet d’un accord majoritaire et qui avait été validé par l’autorité administrative. Les salariés menacés de licenciement pour motif économique avaient reçu une liste des postes de reclassement et adhéré au contrat de sécurisation professionnelle, avant de saisir le conseil de prud’hommes. Ils reprochaient à l’employeur de ne pas avoir mentionné les critères de départage en cas de candidatures multiples sur un même poste de reclassement, rendant ainsi le licenciement sans cause réelle et sérieuse. Saisie de la question, la Cour de cassation rappelle qu’en application de l’article L. 1233-4 al. 4 du Code du travail, l’employeur doit fournir tous les efforts de reclassement afin d’assurer la validité du licenciement. Or, en cas de candidatures de plusieurs salariés pour un même poste, les dispositions de l’article D. 1233-2-1 du même code prévoient que l’offre de reclassement doit obligatoirement préciser les critères de départage. La Cour en conclut qu’en l’absence de cette mention, l’offre est invalide et le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse (Cass. Soc. 8 janvier 2025, n°22-24.724).
RESILIATION JUDICIAIRE ET GARANTIE DES CREANCES SALARIALES: L’AGS couvre les créances impayées en cas de résiliation judiciaire pour manquements graves de l’employeur empêchant la poursuite du contrat.
Une salariée avait saisi la juridiction prud’homale d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail, avant d’être licenciée pour motif économique à la suite de la liquidation judiciaire de l’entreprise. Dans un premier temps, le Conseil de prud’hommes a prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur. Dans un deuxième temps, la Cour d’appel de Rouen a rejeté les demandes de la salariée. Celle-ci formait donc un pourvoi en soutenant que limiter la garantie AGS aux seules ruptures prononcées par l’administrateur judiciaire portait atteinte aux principes d’égalité et de non-discrimination. A cela, la chambre sociale de la Cour de cassation répond, au visa des articles L.3253-6 et L.3253-8, 2° du Code du travail, interprétés à la lumière de la Directive 2008/94/CE et d’un arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne du 22 février 2004 en jugeant que l’AGS « couvre les créances impayées résultant de la rupture d’un contrat de travail, lorsque le salarié obtient la résiliation judiciaire de celui-ci en raison de manquements suffisamment graves de son employeur empêchant la poursuite dudit contrat et que la rupture intervient pendant l’une des périodes visées à l’article L. 3253-8 2° du même code » (Cass . Soc. 8 janvier 2025, n° 23-11.417).
HARCELEMENT MORAL INSTITUTIONNEL: L’employeur qui mène une politique de déstabilisation de ses salariés dans l’objectif de réduire ses effectifs se rend coupable de harcèlement moral institutionnel.
L’affaire France Télécom a débuté en 2007, lorsque l’entreprise a engagé la mise en place d’un vaste plan de réduction de ses effectifs, accompagné d’une pression intense exercée sur les salariés. Entre 2007 et 2010, 35 salariés se sont suicidés. En 2019, France Télécom et 7 cadres dirigeants ont été reconnus coupables de harcèlement moral institutionnel sur le fondement de l’article L.222-33-2 du Code pénal. La juridiction d’appel a établi que cette politique délibérée visait à dégrader les conditions de travail pour inciter 22.000 collaborateurs au départ. En cassation, la Chambre criminelle confirme l’arrêt d’appel, définissant le harcèlement moral institutionnel comme « une politique d’entreprise ayant pour objet de dégrader les conditions de travail de tout ou partie des salariés afin de réduire les effectifs ou d’atteindre tout autre objectif » (Cass. Crim. 21 janvier 2025, n°22-87.145).
MODIFICATION DU CONTRAT DE TRAVAIL ET LICENCIEMENT ECONOMIQUE: La rupture résultant du refus par le salarié d’une modification de son contrat de travail, proposée pour un motif non inhérent à sa personne, constitue un licenciement pour motif économique.
Dans cette affaire, un ingénieur support technique avait été licencié après avoir refusé un poste d’ingénieur avant-vente, impliquant une modification de son contrat de travail. L’employeur avait justifié ce licenciement par une réorganisation liée à l’externalisation de certaines activités et avait affirmé avoir recherché son reclassement. Contestant le bien-fondé de cette rupture, le salarié a saisi la juridiction prud’homale aux fins de voir son licenciement jugé sans cause réelle et sérieuse. La Cour d’appel l’a débouté de ses demandes. La Cour de cassation a censuré cette décision, rappelant que le refus d’une modification du contrat de travail ne constitue pas, en soi, une cause réelle et sérieuse de licenciement. Ainsi, en l’absence de justification économique conforme à l’article L.1233-3 du Code du travail, la Cour en conclut que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse (Cass. Soc. 22 janvier 2025, n°22-23.468).
TEMPS DE TRAJET: Les trajets entre le domicile et le lieu de prise en charge du véhicule ne constituent pas du temps de travail effectif.
Un salarié embauché en qualité de conducteur routier avait saisi la juridiction prud’homale pour réclamer des sommes liées à l’exécution de son contrat de travail. Débouté en appel, le salarié formait un pourvoi en cassation, soutenant que le temps de trajet jusqu’au lieu de prise en charge de son véhicule, situé hors de sa résidence ou de l’établissement de son employeur, devait être considéré comme du temps de travail. Confirmant l’arrêt d’appel, la Cour de cassation juge que « les trajets domicile-travail s’effectuent avec le véhicule personnel du salarié vers un lieu de prise de service unique » et ne constituent donc pas du temps de travail effectif (Cass. Soc. 15 janvier 2025, n°23-14.765).
CONTRAT DE TRAVAIL TEMPORAIRE: Les non-respects du délai de carence et des motifs de recours aux contrats de mission peuvent justifier leur requalification en CDI.
Un salarié avait été engagé par une entreprise de travail temporaire et mis à disposition d’une entreprise utilisatrice suivant une quinzaine de contrats de mission au motif d’un accroissement temporaire de l’activité. Il avait ensuite conclu un CDD avec cette dernière, pour le même motif, sans respecter le délai de carence prévu à l’article L. 1251-36 du Code du travail. Il a saisi la juridiction prud’homale aux fins d’obtenir la requalification de la relation contractuelle en CDI. La Cour d’appel a rejeté sa demande considérant que, ni le non-respect des motifs de recours aux contrats de mission, ni l’absence de délai de carence entre les contrats ne justifiait une requalification en CDI. La chambre sociale de la Cour de cassation a infirmé cette décision, précisant que seul le recours à un contrat de mission au motif de travaux urgents liés à des mesures de sécurité autorisait le non-respect du délai de carence. Le recours à un contrat de mission pour un motif non valable et l’absence de délai de carence justifiaient donc la requalification des contrats de mission en CDI. La Cour a également précisé que le respect du délai de carence incombait exclusivement à l’entreprise de travail temporaire, et non à l’entreprise utilisatrice (Cass. Soc. 15 janvier 2025, n°23-20.168).